S’accueillir rabbin

Josué Ferreira, nouvellement engagé comme rabbin assistant à Genève. / DR
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Josué Ferreira, nouvellement engagé comme rabbin assistant à Genève.
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S’accueillir rabbin

La Communauté juive libérale de Genève (GIL, a engagé un nouveau rabbin assistant en la personne de Josué Ferreira. Avant sa transition, il a été la première femme ordonnée en France.

Enfant, Josué Ferreira s’est longtemps questionné sur sa judaïté, sur laquelle sa mère préférait rester évasive. «Il faut te faire baptiser, pour ne pas qu’on pense que tu es juif, au cas où ça recommencerait comme pendant la Seconde Guerre mondiale», lui répétait-elle, inquiète. Et quand il en déduisait alors qu’il l’était effectivement, elle tentait de se rétracter par des pirouettes.

Josué Ferreira, né sous le prénom Iris, grandit seul avec sa mère dans la campagne picarde, «entre la nature et les livres». S’il est inscrit dans une école privée catholique et poussé à faire son catéchisme, il partage régulièrement des moments de lecture de la Torah avec sa mère – mais sans aucune pratique religieuse. «J’ai toujours trouvé cela un peu bizarre, mais j’ai accepté que cela soit un sujet tabou.» A l’âge de 10 ans, mère et enfant déménagent à Toulouse. Doué à l’école, Josué Ferreira saute plusieurs classes et, son bac en poche prématurément, commence des études de médecine à l’âge de 16 ans. «Tant qu’il s’agissait d’apprentissage théorique, cela me convenait parfaitement. Mais quand il s’est agi de faire des stages en hôpital, ça a commencé à coincer», raconte-t-il. «Je n’étais pas assez blindé à l’époque et quand même très jeune pour me retrouver dans des services où des patients mourraient tous les jours.»

Un Covid ravageur

Après quatre ans de médecine, Josué décide de se réorienter. «Il y a alors eu une petite année de flottement. Alors que j’étais très scientifique, j’ai essayé un peu de droit et les langues modernes.» A la même période, il déménage aux Sables-d’Olonne et commence à fréquenter la synagogue. «J’ai découvert par hasard que j’habitais juste à côté, à dix minutes à pied, alors que c’est la seule synagogue dans toute la région.» Comment sa mère a-t-elle réagi? «Son discours avait également évolué sur la question. Dans l’anonymat d’une petite ville, elle ressentait moins de pression qu’à la campagne et redoutait donc moins le regard des autres», analyse-t-il.

En autodidacte, Josué Ferreira se met naturellement à apprendre l’hébreu. Il se prend au jeu, et s’inscrit l’année suivante en études d’hébreu et d’études juives à l’Institut national des langues et cultures orientales de Paris. «Petit à petit, l’idée de devenir rabbin fait son chemin, à la fois pour l’aspect social avec les gens et celui de l’étude et du travail des textes.» Pour ce faire, direction Londres, pour des études rabbiniques d’orientation libérale.

Au moment d’être ordonné rabbin, le monde est alors en pleine pandémie de Covid. «Lors des préparatifs, on était encore dans l’incertitude par rapport à la possibilité de voyager», relate-t-il. «Comme dans ma promotion, nous étions quatre étudiants de pays différents, il a été décidé que la cérémonie d’ordination n’aurait pas lieu à Londres, mais que chacun aurait sa cérémonie dans son pays.» Un imprévu, a priori sans conséquence, qui marquera cependant à jamais sa trajectoire.

Nature imparfaite

En effet, cet anodin concours de circonstances le consacre, bien malgré lui, comme première femme rabbin à avoir été ordonnée en France. L’événement est alors largement médiatisé mais laisse à Josué un goût fort amer. «J’ai toujours eu de la peine à m’identifier à ce genre. Je faisais avec, tant bien que mal. J’avais des stratégies pour arriver à tenir malgré tout», confie-t-il. «Mais avec ce statut, on me le renvoyait sans arrêt dans la figure. On me demandait sans cesse s’il fallait dire Madame la rabbine ou le rabbin. C’est devenu invivable. Je ne pouvais plus continuer ainsi.»

Ce statut de pionnière «a alors accéléré la prise de décision» pour Josué Ferreira. Deux ans plus tard, alors en poste à Strasbourg, il effectue sa transition. «Ce parcours n’est pas simple, mais dans l’ensemble, les réactions ont été plutôt bienveillantes et soutenantes», témoigne-t-il. Spirituellement, comment a-t-il résolu la question de savoir s’il n’en venait pas à s’opposer à la volonté de son créateur? «La création a sa part de mystère. On ne peut pas tout comprendre. Je pense qu’il est important d’accepter cette dimension insaisissable», relève-t-il. «Parfois, des enfants naissent avec une malformation cardiaque et seule une

opération peut permettre de les sauver. Il est donc des fois nécessaire d’intervenir sur la nature», commente-t-il.

Assis aujourd’hui dans son nouveau bureau au sein de la Communauté juive libérale de Genève-GIL, forte de 1300 membres, Josué Ferreira s’exprime avec pudeur, mais sans évitement aucun. Tout juste confirmé dans son poste de rabbin assistant après trois mois d’essai, il continue également à assurer ses fonctions rabbiniques à 25% à Montpellier où il exerçait depuis deux ans. Comment vit-il sa nouvelle vie sur sol helvétique? «J’apprécie ce cadre de vie agréable ainsi qu’une certaine forme de tranquillité que vous avez ici. La France est quand même un pays un peu sur les nerfs», formule-t-il.

«Rester discret»

Pour autant, Josué Ferreira ne saurait échapper à la situation actuelle. «Alors que je trouvais les craintes de ma mère exagérées, je m’aperçois que depuis le 7 octobre 2023, il y a eu une montée très forte et très rapide de l’antisémitisme.» Lui-même renonce à porter la kippa dans les espaces publics ou à lire un ouvrage identifiable comme un Talmud ou la Torah. «De nos jours, il vaut mieux rester prudent et discret», exprime-t-il.

Quand on évoque certaines prises de position à l’encontre du gouvernement Netanyahou de figures du monde juif, à l’instar de Delphine Horvilleur, il préfère se garder de tout avis personnel sur la question. «Nos communautés sont déjà fortement divisées, avec des visions complètement opposées qui s’affrontent et peuvent se manifester parfois avec des réactions un peu violentes et disproportionnées», évoque-t-il. «Je préfère alors éviter le sujet pour ne pas créer de tensions supplémentaires. Mon opinion n’aurait de toute manière aucun effet sur le conflit actuel.»

5 dates

1992 Naissance le 4 janvier 1992 à Château-Thierry

2016 Part étudier à Londres

2021 Ordination en tant que rabbin

2023 Transitionne et devient Josué Ferreira

2025 Engagé comme assistant rabbin à la CJLG-GIL