Les trésors musicaux d’un moine de Tibhirine

Le monastère de Tibhirine / ©iStock/Hakim H
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Le monastère de Tibhirine
©iStock/Hakim H

Les trésors musicaux d’un moine de Tibhirine

SOURCE VIVE
Marie-Dominique Minassian coordonne depuis l’Université de Fribourg des recherches sur les écrits des sept religieux assassinés en 1996. Les compositions de Frère Célestin ont surpris les chercheurs.

Quelques mois après le décès des moines de Tibhirine, Marie- Dominique Minassian croise certains de leurs écrits, dont la profondeur la «bouleverse». Alors que les textes du prieur, Christian de Chergé, sont assez connus, elle consacre en 2003 sa thèse à la poésie d’un autre membre de la communauté, Frère Christophe, «qui [l]’a saisie». «J’y ai vu une source spirituelle vive.» Elle comprend aussi que la spiritualité de ces frères, vécue dans le contexte d’un pays en guerre civile, constitue une ressource inestimable. «Ils ne sont pas venus apporter le Christ en Algérie, mais le découvrir dans la vie de leurs frères musulmans.» Depuis, les demandes de conférence faites à la chercheuse n’ont pas cessé. 

Marie-Dominique Minassian

En 2017 naît un projet financé par le Fonds national suisse visant à éditer systématiquement les textes des sept frères. Marie-Dominique Minassian est responsable du comité scientifique. Six tomes sont déjà parus. La chercheuse, ses équipes et les familles des moines sont lancées dans une course contre la montre pour retrouver tous ces écrits, archives personnelles ou courriers. Les frères correspondaient avec beaucoup de personnes, «y compris avec des protestants, dont la communauté de Grandchamp, qui avait une présence à Alger et avec qui des liens très forts existaient». 

La béatification, en décembre 2018, de la communauté de Tibhirine par le pape François a donné une nouvelle énergie à tout ce réseau. «C’est comme une authentification de ce que nous avions découvert. On travaille encore plus volontiers dessus. Je me suis mise au service de l’élargissement et de l’approfondissement de la connaissance de cette spiritualité. Il faut donner accès à ces sources, permettre à d’autres cultures de se pencher dessus, avec d’autres angles», explique la chercheuse. 

En parallèle, elle organise des colloques et des travaux sur la réception scientifique de ces écrits. «Etudes sur Tibhirine et les martyrs de la fraternité», chez Academic Press à Fribourg, réunit ces travaux de chercheurs. C’est dans cette collection qu’est paru ce printemps un ouvrage sur la musique de Frère Célestin, un temps chantre de la communauté. Un patrimoine que la chercheuse décrit volontiers comme un «trésor». En effet, personne n’a jamais su qu’il composait de la musique! C’est en accédant aux archives familiales que Marie-Dominique Minassian a découvert près de 1700 partitions, parfois rédigées à la volée: psaumes, hymnes, répons, mais aussi simples textes mis en musique…

Personne n’a jamais su qu’il composait de la musique

«J’ai organisé une session de trois jours autour de ces documents avec des chercheurs et j’ai vu des yeux s’ouvrir et des onomatopées fuser: ‹ Cette musique est géniale!» Jean-Michel Dieuaide, organiste, compositeur, ancien maître de chapelle à la cathédrale Notre-Dame de Paris, souligne dans l’ouvrage le rapport «complexe et déroutant» de Célestin Ringeard à la musique. «Formidable mélodiste», le moine possède aussi une «liberté rythmique et une clarté harmonique», il est doté d’une oreille intérieure en «perpétuelle activité», «qui transcrit en toutes occasions la musique qu’il vit, pense et prie». Il multiplie les pièces très courtes et «c’est précisément dans l’économie, la pauvreté de moyens que se révèle la force de sa créativité». Si Célestin a été formé à la musique grégorienne, il ne se voyait sans doute pas comme compositeur. Jean-Michel Dieuaide fait le lien avec l’art brut: «Même puissance créatrice, même liberté.»