Le plus protestant des papes?

En 2016, le pape avait participé aux célébrations des 500 ans de la Réforme à Lund, en Suède, aux côtés de Munib Younan, président de la Fédération luthérienne mondiale (à gauche), et de Martin Junge, secrétaire général de la Fédération luthérienne mondiale (à droite) / ©Magnus Aronson — Lutheran World Federation
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En 2016, le pape avait participé aux célébrations des 500 ans de la Réforme à Lund, en Suède, aux côtés de Munib Younan, président de la Fédération luthérienne mondiale (à gauche), et de Martin Junge, secrétaire général de la Fédération luthérienne mondiale (à droite)
©Magnus Aronson — Lutheran World Federation

Le plus protestant des papes?

Soft Power
Quels que soient leurs désaccords, les responsables protestants sont nombreux à avoir admiré le pape François et à reconnaître dans son style de leadership une forme d’«inspiration».

Au sein du monde protestant francophone, la cote de popularité du pape François, au lendemain de son décès, reste particulièrement notable. Plusieurs dimensions de son pontificat sont mises en avant, mais c’est d’abord son apport sur l’écologie qui est mentionné. L’encyclique Laudato si’ a constitué un «appui précieux» pour nombre de responsables protestant·es – parfois engagé·es depuis des décennies dans le domaine – et continue d’être citée par de nombreux mouvements écologiques, bien au-delà des cercles catholiques. «Je ne me souviens pas d’avoir entendu une seule parole d’un pape pendant mon parcours de catéchisme et lors des nombreuses prédications écoutées, avant l’arrivée du pape François», remarque Lara-Florine Schmid, coordinatrice du réseau romand EcoEglise.

Proximité théologique

La culture théologique de François joue un rôle dans le rayonnement de ce texte côté protestant. «La théologie de la libération, à laquelle il était profondément attaché, est également une référence importante dans la tradition réformée – notamment dans notre engagement pour la justice sociale, pour les plus pauvres et la sauvegarde de la création. Il existe donc une proximité théologique significative», remarque Stephan Jütte, directeur du secteur théologie et éthique auprès de l’Eglise évangélique réformée de Suisse (EERS). Cette proximité, les protestants l’ont particulièrement ressentie sur la question des migrants et de la pauvreté. «On admire que le pape se soit tenu au cœur de l’Evangile, qu’il ait défendu les pauvres, les migrants, les ‹petits›… C’est une attitude qui n’a pas le vent en poupe et qu’il a tenue avec constance, fidèle à sa ligne, sans se poser la question de qui finance le Vatican», souligne Isabelle Gerber, présidente de l’Union des Eglises protestantes d’Alsace et de Lorraine (UEPAL). 

Des convictions qui ont inspiré: «Il a placé le Christ au centre de son action et c’est ce que nous devrions tous faire dans nos institutions», estime Emmanuel Rolland, secrétaire général adjoint de mission à l’Eglise protestante de Genève. «Le fait qu’il ait toujours mis les valeurs fondamentales de l’Evangile au centre de son pontificat a contribué à rapprocher les catholiques des évangéliques», admet de son côté Stéphane Klopfenstein, directeur adjoint du Réseau évangélique suisse. Fait notable, plusieurs leaders évangéliques outre-Atlantique se réfèrent à lui, du progressiste Shane Claiborne aux Kenneth Copeland Ministries. «Un grand signe d’ouverture quand on sait que ce mouvement ne fait pas l’unanimité, même au sein des milieux évangéliques», estime Jean Decorvet, recteur de la HET-Pro.

Conscience universelle

«Il incarnait une conscience, une empathie universelle. Il était porteur d’un souci pour l’ensemble du vivant», va jusqu’à dire Christian Krieger, président de la Fédération protestante de France. Cette empathie allait de pair avec un style simple, une authenticité qui a « particulièrement impressionné dans le monde protestant. François a renoncé au faste, s’est placé aux côtés des plus vulnérables et a incarné une Eglise tournée vers le monde et non repliée sur elle-même», observe Stephan Jütte. D’ailleurs, des protestants ont été invités à siéger à son Synode sur la synodalité auprès de laïcs ou de membres d’autres confessions chrétiennes. Une volonté de démocratiser l’institution qui ajouté à tout le reste, selon Emmanuel Rolland, en fait «un pape finalement très réformé». Son successeur sera-t-il axé sur une telle ouverture? Restent tout de même quelques sujets majeurs pour lesquels François a pu être jugé trop tiède par les branches les plus conservatrices du protestantisme évangélique… Et éloigné des convictions et de la culture luthéro-réformées.

Retrouvez l’analyse du théologien Pierre Gisel: Conduire l’Eglise vers ses périphéries.