France Quéré : éthicienne de la famille au « féminisme raisonné »
Liberté, conscience et engagement caractérisent sa vie. Car France Quéré s’intéresse à l’éthique de la famille. Lorsqu’elle écrit Le dénuement de l’espérance, sa pensée rejoint l’actualité sociale, soit l’ébullition causée par la révolte des femmes envers les diktats d’une société qui leur dénie le droit de réguler les naissances et de pratiquer l’avortement. Les progrès scientifiques dans la gestion de la fécondité humaine, leur évolution, leurs implications pour l’existence humaine, en particulier pour la femme, sont au centre de ses préoccupations.
De fait, à ce moment-là, c’est toute la réflexion portant sur la nature de l’être humain, et son éventuel rapport à Dieu, qui est concernée. Ce « donné naturel », l’homme peut maintenant le modifier: pouvoir immense aux conséquences positives, mais dangereuses aussi. France Quéré mesure la nécessité de prévoir de nouvelles règles pour ces nouvelles limites de la connaissance scientifique ainsi que pour les expérimentations que leurs déploiements suggéraient. Or, il était devenu clair que la recherche en biologie, en médecine, ou ailleurs encore, n’était pas à l’abri de dérapages graves comme l’avaient démontré, par exemple, le procès de Nuremberg (1947).
« Plus la science progresse, plus la responsabilité humaine s'étend »Pour définir ces règles avec d’autres, elle participe à la mise sur pied du premier conseil d’éthique français. Elle raconte cette expérience dans son livre L’éthique et la vie. Elle développe une réflexion qui se distingue du point de vue catholique - qui lui se réfère à un principe intangible - en tenant davantage compte des particularités concernées. Pour illustrer cette situation, on peut prendre l’exemple du diagnostique prénatal qui permet de déceler les malformations graves d’un fœtus. Les opposants à cette pratique diront que son but est la mort, dans le sens que si la malformation est avérée, le couple pourra mettre fin à la grossesse (1% à 4%).
Curieusement, la femme évangélique est une itinérante. On la surprend rarement chez elle, maîtresse de maison. Plus souvent elles sont sur les routes, surgissant brusquement et vite disparuesMais ceux qui lui sont favorables, dont souvent les médecins, diront qu’il permet de calmer l’angoisse des couples à risque, le plus souvent en les rassurant. De plus, ceux qui interrompront une gestation risquée s’empresseront le plus souvent d’en envisager une autre, ce qu’ils n’auraient peut-être pas fait sans la sécurité d’un tel diagnostique. Portée dans ce champ du débat par l’évolution des sciences ainsi que par son milieu familial, elle a écrit sa réflexion vers la fin de sa vie, Conscience et neurosciences. Pour elle : « Plus la science progresse, plus le champ de la responsabilité humaine s'étend. »
Marie, jeune audacieuseMais France Quéré étudie aussi la condition féminine au début de l’histoire de l’Eglise. Cet intérêt s’exprime par ses ouvrages, dont La femme avenir, Les femmes de l’Evangile, Marie, La Femme et les Pères de l’Eglise. Une mobilité engagée, une foi vivante. Elle relit les Evangiles et y cerne la place des femmes. Sa manière de situer Marie comme une jeune audacieuse qui s’inscrit dans « une tradition souple », constituée déjà par les aïeules peu orthodoxes de Jésus, a fait date.
Puis elle décrit ainsi les femmes de l’entourage de Jésus: « Dans les femmes, Jésus reconnaît son peuple, celui dont il est issu et celui qu’il cherche. C’est le seul qui croit massivement. Il n’y trouve pas d’hostilité, ni de complot, mais confiance, fidélité, audacieuse prescience. La spontanéité de leur adhésion n’est pas un hasard; ces femmes aussi reconnaissent Jésus pour l’un des leurs, peu glorieux malgré sa popularité. Ils partagent ensemble la solitude, l’errance, la détresse (…). Curieusement, la femme évangélique est une itinérante. On la surprend rarement chez elle, maîtresse de maison. Plus souvent elles sont sur les routes, surgissant brusquement et vite disparues » (Les femmes de L‘Evangile).
Une responsabilité informée et choisieCes femmes ne sont-elles pas l’illustration même de cette foi vivante à laquelle France Quéré se réfère? Mais alors: « Qu’est-ce qu’une foi vivante? » se demande-t-elle. Très consciente de l’inscription de la foi dans le mouvement de l’histoire des personnes, elle a récapitulé quelques points de sa propre évolution dans La leçon de mes âges, de l’enfance à ces mots d’adulte: « Pourquoi Dieu m’est-il donné dans deux mots qui se lacèrent, la douleur et la beauté? »
Ou encore: « Pour l’honneur des pauvres, le Christ reste avec eux, cloué sur la croix, avec ce visage que la mort va lui prendre, et ce cri d’angoisse qui déchira le soir. Il demeure la suffocation des innocents, le nœud de ma stupeur, le nerf de ma révolte: celui qui m’interdit le consentement. » Ou enfin: « L’amour rend tout possible. Telle est sa force, et sa vérité: instaurer. » Sa pensée et son engagement s’articulent aux thèmes de la liberté et de la conscience en vue de mettre en œuvre une responsabilité informée et choisie. A sa mort, son « féminisme raisonné » fut salué.
France Jaulmes Quéré est née le 27 avril 1936 à Montpellier et décédée le 14 avril 1995 d’une grave maladie. Elle a effectué des études classiques et de théologie dans cette ville. Elle a été mariée et mère de trois enfants. Théologienne protestante, d’abord spécialiste des Pères de l’Eglise, elle travailla l’éthique et la bioéthique. Elle publia de nombreux articles et ouvrages dont Les femmes de l’Evangile, 1982 ; La Femme et les Pères de l’Eglise, 1997. L’éthique et la vie, 1991; Conscience et neurosciences, 2001 ; Au fil de la foi, B. Sesbouë ed.
- Michèle Bolli écrit pour ProtestInfo quatre portraits de théologiennes, dont celui de Marie Quéré est le deuxième. Le premier était consacré à Dorothee Sölle : Le cri silencieux, mysticisme et résistance. Michèle Bolli a également publié une chronique : Y a-t-il une véritable avancée de l'égalité dans les Eglises protestantes aujourd'hui ?