La laïcité, de la guerre à la paix
15 juillet 2004
Dans un passionnant numéro spécial, le magazine « L’Histoire » retrace les étapes de la séparation du spirituel et du temporel
Un processus qui a souvent pris des allures de bataille rangée entre l’Eglise et les princes. L’Occident d’aujourd’hui s’est largement sécularisé. Au delà des différentes formes institutionnelles qu’elle prend en Europe et en Amérique du Nord, la séparation entre religieux et politique paraît largement acquise. Ce consensus fait parfois oublier que la laïcité demeure le résultat d’un long et parfois violent processus auquel le magazine « L’Histoire » consacre un numéro spécial : Dieu et la politique, le défi laïque.
Dans l’interview qui ouvre et met en perspective ce passionnant voyage à travers les époques et les pays, l’historien Jacques Le Goff rappelle que « le terme ‘religion’ dans son acception moderne et actuelle n’apparaît qu’au XVIIIe siècle ». Jusque là, « nous sommes dans un monde où tout est religieux, où ce que nous appelons ‘religion’ imprègne toute la vie des hommes et de leur société ».
Au IVe siècle, l’empereur Constantin se convertit au christianisme. Un événement qui marque pour l’historien une séparation forte entre l’Occident et l’Orient : Dans le premier cas, « il n’y a plus qu’une seule personne divine, Dieu lui-même avec un empereur non pas désacralisé mais ‘dédivinisé’ » ; alors qu’en Orient, le César demeure à la tête de l’Eglise. C’est le modèle du « césaropapisme », où le roi est « l’ombre de Dieu sur terre », sorte d’envers de la théocratie où c’est au contraire Dieu qui règne sur le monde. Alliance du trône et de l'autelSelon Jacques Le Goff, l’Eglise reprend l’offensive dès la fin du XIe siècle avec la réforme grégorienne, du nom du Pape Grégoire VII qui élabore la théorie du pouvoir pontifical « ratione peccati », en raison du péché. « C’est l’idée, explique l’intellectuel français, que seule l’Eglise peut délivrer un chrétien, quel que soit son rang, du péché et faire son salut ». L’ambition théocratique culmine au XIIIe siècle avec le mal nommé pape Innocent IV, qui « mêle la religion et le droit, ce qui est dramatique », installe une société répressive et établit la torture dans l’Inquisition. Mais de manière générale, pour Jacques Le Goff, ce qui a gouverné le Moyen Age occidental, « n’est pas une théocratie, mais une alliance du trône et de l’autel », qui durera en France jusqu’en 1789, lorsque la Révolution met fin à l’Ancien Régime et permet aux laïcs de « s’affranchir du joug radical ». Le chercheur trouve ainsi « inacceptables » les demandes d’inscrire dans le préambule de la Constitution européenne une référence explicite au christianisme, car « si l’Europe doit beaucoup au christianisme – qui a été le ciment de son union depuis le IVe siècle – elle doit autant aux laïcs. La laïcité fait partie de la nature de l’Europe ».
Dans ce même numéro, on s’arrêtera également sur la manière dont Michel Winock, professeur émérite à l’Institut d’études politiques de Paris, détaille les étapes de la laïcisation à la française, parfois très tendues entre un épiscopat résolu de conserver son influence sur cette nation « fille aînée de l’Eglise », et les autorités civiles. Plus près de nous, le chercheur à l’Institut d’histoire de la Réformation Nicolas Fornerod raconte l’ordre moral dans la Genève du XVIe siècle selon Calvin, avec une législation particulièrement sévère en matière de mœurs, soutenue par « une organisation disciplinaire sans égale à l’échelle d’une cité ». Entre 5% et 7% de la population, toutes classes sociales confondues, comparaissait alors devant le Consistoire, véritable bras armé de « cet ordre moral draconien imposé durant une soixantaine d’années au nom d’un idéal religieux ». UTILE
« L’Histoire », numéro spécial : Dieu et la politique, le défi laïque. En kiosque.
Dans l’interview qui ouvre et met en perspective ce passionnant voyage à travers les époques et les pays, l’historien Jacques Le Goff rappelle que « le terme ‘religion’ dans son acception moderne et actuelle n’apparaît qu’au XVIIIe siècle ». Jusque là, « nous sommes dans un monde où tout est religieux, où ce que nous appelons ‘religion’ imprègne toute la vie des hommes et de leur société ».
Au IVe siècle, l’empereur Constantin se convertit au christianisme. Un événement qui marque pour l’historien une séparation forte entre l’Occident et l’Orient : Dans le premier cas, « il n’y a plus qu’une seule personne divine, Dieu lui-même avec un empereur non pas désacralisé mais ‘dédivinisé’ » ; alors qu’en Orient, le César demeure à la tête de l’Eglise. C’est le modèle du « césaropapisme », où le roi est « l’ombre de Dieu sur terre », sorte d’envers de la théocratie où c’est au contraire Dieu qui règne sur le monde. Alliance du trône et de l'autelSelon Jacques Le Goff, l’Eglise reprend l’offensive dès la fin du XIe siècle avec la réforme grégorienne, du nom du Pape Grégoire VII qui élabore la théorie du pouvoir pontifical « ratione peccati », en raison du péché. « C’est l’idée, explique l’intellectuel français, que seule l’Eglise peut délivrer un chrétien, quel que soit son rang, du péché et faire son salut ». L’ambition théocratique culmine au XIIIe siècle avec le mal nommé pape Innocent IV, qui « mêle la religion et le droit, ce qui est dramatique », installe une société répressive et établit la torture dans l’Inquisition. Mais de manière générale, pour Jacques Le Goff, ce qui a gouverné le Moyen Age occidental, « n’est pas une théocratie, mais une alliance du trône et de l’autel », qui durera en France jusqu’en 1789, lorsque la Révolution met fin à l’Ancien Régime et permet aux laïcs de « s’affranchir du joug radical ». Le chercheur trouve ainsi « inacceptables » les demandes d’inscrire dans le préambule de la Constitution européenne une référence explicite au christianisme, car « si l’Europe doit beaucoup au christianisme – qui a été le ciment de son union depuis le IVe siècle – elle doit autant aux laïcs. La laïcité fait partie de la nature de l’Europe ».
Dans ce même numéro, on s’arrêtera également sur la manière dont Michel Winock, professeur émérite à l’Institut d’études politiques de Paris, détaille les étapes de la laïcisation à la française, parfois très tendues entre un épiscopat résolu de conserver son influence sur cette nation « fille aînée de l’Eglise », et les autorités civiles. Plus près de nous, le chercheur à l’Institut d’histoire de la Réformation Nicolas Fornerod raconte l’ordre moral dans la Genève du XVIe siècle selon Calvin, avec une législation particulièrement sévère en matière de mœurs, soutenue par « une organisation disciplinaire sans égale à l’échelle d’une cité ». Entre 5% et 7% de la population, toutes classes sociales confondues, comparaissait alors devant le Consistoire, véritable bras armé de « cet ordre moral draconien imposé durant une soixantaine d’années au nom d’un idéal religieux ». UTILE
« L’Histoire », numéro spécial : Dieu et la politique, le défi laïque. En kiosque.