Régis débat avec Debray
24 juin 2004
A travers une correspondance fictive avec un ancien journaliste devenu novice bénédictin, le philosophe entame un sombre dialogue avec lui-même et se demande où finit la conviction et où commence la compromission
Du port du voile à la laïcité, en passant par son enseignement à l’école, Régis Debray ne cesse de décortiquer le fait religieux. Pourtant, le philosophe et "médiologue" - comme il aime à se nommer - français n'a pas la foi. " Malheureusement, avouait-il récemment sur les ondes de la Radio suisse romande, ceux qui la possèdent me paraissent avoir une vitalité, une disponibilité pour autrui, un idéal qui n’est pas dans l’intérêt immédiat et qui les met pourtant en route, ce qui détonne en cette époque de scepticisme généralisé ».
Alors pour évoquer cette certitude issue d’une expérience, d’une rencontre personnelle et non d’un enseignement, Régis Debray se livre à une chronique à deux voix dans Le Siècle et la règle », paru récemment chez Fayard. L’auteur dit livrer le fruit d’une correspondance avec un ancien élève croyant qui, déçu du journalisme, décide de passer de la rédaction d’un journal catholique à la robe de Dominicain en Haïti. Certains se sont laissés berner par cette facétie littéraire (que Régis Debray avait déjà pratiquée dans l’Edit de Caracalla), ce qui valide les propos de l’auteur fustigeant « ces journalistes qui n’ont plus le temps de lire les livres ». Il fallait au moins songer à l’épigraphe, empruntée à l’écrivain Jorge-Luis Borges : « Tout homme est deux hommes, et le véritable est l’autre ». Autant dire que le mystérieux correspondant n’est autre que la face imaginaire de Régis Debray, qui a toujours cultivé un faible pour le dédoublement de personnalité, parce que rien n’est « plus signifiant que de penser contre soi » : « J’ai tendance à penser une chose et son contraire, et cela ne s’arrange pas avec l’âge », glisse-t-il avec malice dans sa préface. Débat intérieur en forme de « guerre civile »La toile de fond de ce dialogue intérieur ne doit, elle, rien à l’imagination. Il s’agit du rachat par Le Monde (appelé non sans humour Le Moniteur) d’un magazine culturel catholique dans lequel le jeune et bouillant journaliste sent ses convictions de plus en plus à l’étroit. L’auteur en profite pour poser quelque questions qui le taraudent face à une grande presse « qui doit désormais ressembler au petit écran car (…) les gens veulent voir et non lire ». Quelle possibilité, pour l’homme de conviction, de trouver sa place au sein d’un journalisme de plus en plus « commercial » ?. « Entre les professionnels de la profession et les confesseurs de ma confession, y a-t-il encore place pour du levain en pleine pâte, une troisième voie entre la lessive et la catéchèse ? », se demande joliment Gilles-Dominique. « Jésus serait-il devenu le Christ s’il avait causé dans le poste ? », lui rétorque un Régis Debray plutôt sombre dont le débat avec son double inversé prend des allures de « guerre civile ».
Cet interlocuteur rêvé décide donc de renoncer aux sirènes de la renommée, et à un poste de responsable qu’on lui offre contre toute attente, pour rejoindre une communauté de prêcheurs en Haïti. Aux leçons de cynisme de son professeur, qui rappelle qu’il faut sans doute « être renard pour devenir lion un jour », et qui avoue ne pouvoir quitter « les plis de son enclos de nantis », l’élève répond par l’abandon radical des compromissions et du « point où l’argent prend le pas sur l’esprit ». « Ne croyez pas que je choisisse l’ascèse ou la pénitence. Je choisis la joie », lance le jeune novice à son ancien maître que l’on sent envieux de tant d’audace. « Il a mué, je demeure : un ex-professeur deuxième classe mais de rang A, pétitions en série, bons bistrots et bonne conscience ».
Comment vivre avec Dieu dans un monde sans Dieu ? se demandait déjà le pasteur luthérien antinazi Bonhoeffer et Simone Weil. On ne le peut pas, estime Gilles-Dominique, qui dans son métier de journaliste se « défaisait de l’intérieur à force de [se] dédoubler ». Comme pour ce rassurer, le médiologue conclut pour sa part qu’il préfère « les morales souples, plus respectables, parce qu’elles ne s’absentent jamais du réel ». Vraiment ?UTILE
Le siècle et la règle, Régis Debray, éd. Fayard.
Alors pour évoquer cette certitude issue d’une expérience, d’une rencontre personnelle et non d’un enseignement, Régis Debray se livre à une chronique à deux voix dans Le Siècle et la règle », paru récemment chez Fayard. L’auteur dit livrer le fruit d’une correspondance avec un ancien élève croyant qui, déçu du journalisme, décide de passer de la rédaction d’un journal catholique à la robe de Dominicain en Haïti. Certains se sont laissés berner par cette facétie littéraire (que Régis Debray avait déjà pratiquée dans l’Edit de Caracalla), ce qui valide les propos de l’auteur fustigeant « ces journalistes qui n’ont plus le temps de lire les livres ». Il fallait au moins songer à l’épigraphe, empruntée à l’écrivain Jorge-Luis Borges : « Tout homme est deux hommes, et le véritable est l’autre ». Autant dire que le mystérieux correspondant n’est autre que la face imaginaire de Régis Debray, qui a toujours cultivé un faible pour le dédoublement de personnalité, parce que rien n’est « plus signifiant que de penser contre soi » : « J’ai tendance à penser une chose et son contraire, et cela ne s’arrange pas avec l’âge », glisse-t-il avec malice dans sa préface. Débat intérieur en forme de « guerre civile »La toile de fond de ce dialogue intérieur ne doit, elle, rien à l’imagination. Il s’agit du rachat par Le Monde (appelé non sans humour Le Moniteur) d’un magazine culturel catholique dans lequel le jeune et bouillant journaliste sent ses convictions de plus en plus à l’étroit. L’auteur en profite pour poser quelque questions qui le taraudent face à une grande presse « qui doit désormais ressembler au petit écran car (…) les gens veulent voir et non lire ». Quelle possibilité, pour l’homme de conviction, de trouver sa place au sein d’un journalisme de plus en plus « commercial » ?. « Entre les professionnels de la profession et les confesseurs de ma confession, y a-t-il encore place pour du levain en pleine pâte, une troisième voie entre la lessive et la catéchèse ? », se demande joliment Gilles-Dominique. « Jésus serait-il devenu le Christ s’il avait causé dans le poste ? », lui rétorque un Régis Debray plutôt sombre dont le débat avec son double inversé prend des allures de « guerre civile ».
Cet interlocuteur rêvé décide donc de renoncer aux sirènes de la renommée, et à un poste de responsable qu’on lui offre contre toute attente, pour rejoindre une communauté de prêcheurs en Haïti. Aux leçons de cynisme de son professeur, qui rappelle qu’il faut sans doute « être renard pour devenir lion un jour », et qui avoue ne pouvoir quitter « les plis de son enclos de nantis », l’élève répond par l’abandon radical des compromissions et du « point où l’argent prend le pas sur l’esprit ». « Ne croyez pas que je choisisse l’ascèse ou la pénitence. Je choisis la joie », lance le jeune novice à son ancien maître que l’on sent envieux de tant d’audace. « Il a mué, je demeure : un ex-professeur deuxième classe mais de rang A, pétitions en série, bons bistrots et bonne conscience ».
Comment vivre avec Dieu dans un monde sans Dieu ? se demandait déjà le pasteur luthérien antinazi Bonhoeffer et Simone Weil. On ne le peut pas, estime Gilles-Dominique, qui dans son métier de journaliste se « défaisait de l’intérieur à force de [se] dédoubler ». Comme pour ce rassurer, le médiologue conclut pour sa part qu’il préfère « les morales souples, plus respectables, parce qu’elles ne s’absentent jamais du réel ». Vraiment ?UTILE
Le siècle et la règle, Régis Debray, éd. Fayard.